De la comédie : ressources humaines & absentéisme

Une offre pour réduire l’absentéisme sur la base d’un engagement sur résultats

Fin 2016, nous avons conçu une offre pour les collectivités territoriales dont l’objectif était la réduction de l’absentéisme, basée sur le principe dit « gagnant-gagnant » de l’engagement sur résultats. Cela signifierait que notre mission ne serait pas rémunérée au classique « prix-jour » des consultants mais bien au prorata de la réduction de l’absentéisme.

L’absentéisme au cœur des préoccupations des collectivités

Pourquoi cette idée et quel bilan tirer de cette expérience ?

Cette idée est née alors qu’une nouvelle fois l’absentéisme des agents faisait l’actualité et qu’un rapport de la Cour des Comptes constatait que « la tendance est à la hausse de l’absentéisme de courte durée dans les collectivités locales.
Le nombre moyen de jours d’absence pour maladie ordinaire est passé de 11,4 en 2009 à 12 en 2011 puis 11,9 en 2013 ».

Plus précisément, elle est née suite à mon intervention en tant que consultant indépendant considéré comme « expert » de l’absentéisme à une matinale qui lui était consacré dans un Centre de Gestion. Dans le droit fil de la Cour des Comptes, les trois DRH présents s’accordaient à constater que l’absentéisme « de courte durée » pour « maladie ordinaire » était tendanciellement en hausse, particulièrement dans « les grandes collectivités » et qu’il était donc urgent de « lutter contre l’absentéisme ».

Une efficacité limitée des démarches classiques sur l’absentéisme

Deux de ces DRH mentionnaient également que des diagnostics suivis de plans d’actions avaient été réalisés sur les thèmes des risques psychosociaux (RPS) ou de la qualité de vie au travail dans leurs collectivités. Ce qui signifiait donc implicitement que ces démarches n’avaient pas eu d’effet sur un absentéisme qui est présenté comme un indicateur pertinent de qualité de vie au travail par les organismes institutionnels prescripteurs de méthodologie sur le sujet auxquelles les collectivités exigent bien souvent que les consultants se réfèrent.

Mais est-ce vraiment une surprise ?

Souvenons-nous. C’était aux alentours de 2006 et dans le sillage de ce qu’il serait alors convenu d’appeler « l’affaire France Telecom » et sa « vague de suicides », la France découvrait sa « souffrance au travail », le sujet prenant alors des allures de phénomène de société. D’autres entreprises suivaient bientôt, tandis que se succédaient les unes de journaux, les reportages, les enquêtes et les plateaux télévisés. Le sujet se voyait implacablement décrit comme « complexe », justifiait l’intervention « d’experts », qu’ils soient médecins, psychologues,  chercheurs et l’appellation « risques psychosociaux » était adoptée pour le décrire. Enfin, les services publics et les collectivités territoriales se penchaient sur lui à leur tour.

Mais aujourd’hui, qui peut sérieusement dire que l’on vit mieux au travail qu’il y a une dizaine d’années ? En quoi peut-on dire que des réponses solides ont été apportées au problème, que l’on parle de « risques psychosociaux », de « souffrance au travail » ou que l’on adhère au glissement sémantique qui l’a amené à « qualité de vie au travail » ? En quoi peut-on réellement dire que l’on conjugue plus qu’auparavant « performance et bien-être au travail », puisque telle est aujourd’hui la doctrine valise affichée par la plupart des professionnels des ressources humaines ?

Absentéisme au travail

Une réponse managériale pour réduire l’absentéisme durablement

À défaut d’une évaluation du lien entre performance et bien-être au travail qui ne semble manifestement tout simplement ni souhaitée ni concevable par les collectivités, la problématique récurrente de l’absentéisme apporte un début de réponse à ces questions. Bien entendu, l’absentéisme n’est pas le seul indicateur et il n’est pas question de conclure par exemple que son augmentation serait synonyme de RPS. Par contre, il est possible d’affirmer qu’un ensemble de facteurs que l’on peut indifféremment appeler de « prévention primaire des RPS », de « qualité de vie au travail », mais qu’il conviendrait surtout à notre sens de qualifier de « managériaux » ne peuvent avoir pour conséquence que la diminution de l’absentéisme.

Et c’était là l’essence de notre proposition. Il est réellement possible de « conjuguer performance de l’entreprise et bien être des salariés » en mettant en place l’ensemble des facteurs managériaux qui lient ces deux dimensions et nous allions le prouver en assumant le risque de nous rémunérer exclusivement sur la base des économies réalisées en diminuant l’absentéisme. L’objectif que nous nous fixions était une réduction de 30% de l’absentéisme sur un an, ce qui est selon nous un objectif plus que raisonnable. À titre d’exemple pour une collectivité de 1000 agents, il s’agissait de faire réaliser ainsi une économie de 120 000 € la première année, 200 000 € la seconde année puis plus de 250 000 € la troisième année.

Réduction de l’absentéisme : un pari non soutenu par les décideurs

Nous avons approché une centaine d’interlocuteurs pour expliquer notre modèle, en soulignant le paradoxe de voir l’absentéisme augmenter alors que les moyens consacrés aux conditions de travail augmentent également. Ces interlocuteurs comprenaient des DGS, des DRH, le CNFPT, des Centres de Gestion, des antennes locales de l’Association des Maires de France. Nous avons également approché des élus délégués au personnel et aux finances puisqu’il nous semblait légitime que ceux-ci se penchent conjointement sur le thème de l’absentéisme à une période où la Cour des Comptes rappelait les collectivités à l’ordre sur le sujet. Pour autant de fins de non-recevoir.

Cinq élus nous répondrons, car nous étions recommandés auprès d’eux.  Mais ils ne donneront aucun appui au projet. Nous n’aurons pas plus de succès auprès des DGS. Les retours des Centres de Gestion ou des CNFPT oscilleront quand à eux entre l’expression d’un intéressement « intellectuel » mêlé d’une forme d’embarras devant ce qu’ils auront probablement perçu comme de la concurrence. De réflexions ou d’échange de fond visant par exemple à comprendre sur quelles visions et méthodes nous pouvions nous appuyer pour oser faire cette proposition, il ne sera jamais question.

À défaut de meilleurs résultats, notre expérience sur ces sujets depuis une dizaine d’années et notre réseau nous donneront un accès plus aisé aux DRH et à leur représentation du sujet, qui pourrait se résumer en une sentence maintes fois entendue : « l’absentéisme, c’est compliqué », celle-ci s’accompagnant la plupart du temps de « cela prend beaucoup de temps ».

Devant cette complexité, c’est manifestement une forme de compromis acceptable qui est présenté par les DRH expliquant souvent que dans leur collectivité l’absentéisme « n’est pas élevé » et qu’il existe un absentéisme « incompressible ».

L’absentéisme : quand devient-il « élevé » ou « incompressible » ?

Mais à partir de quand et de combien considère-t-on qu’un absentéisme est « élevé » ou « incompressible » ?

Car au-delà de la question des chiffres, l’absentéisme est aussi un indicateur de la représentation du travail instaurée par une organisation. Il est le reflet de la capacité qu’elle a à tisser un lien avec les individus. Considérer qu’un absentéisme puisse être « normal » ou « moyen » revient donc à considérer également comme « normal » que ce lien puisse être distendu. Mais alors, qu’est ce qui prouve que le caractère « acceptable » de cette distance se cantonne à sa manifestation à travers l’absentéisme ? Quels autres écarts avec la « normalité », à savoir ce qu’il est attendu de chacun au travail, sont acceptés ? Autrement dit, jusqu’où le niveau d’exigence peut-il descendre ?

L’absentéisme et la question des RPS

L’absentéisme de longue durée et la pénibilité

Et quelle est exactement cette « complexité » de l’absentéisme qui fait écho à celle déjà évoquée lorsqu’il s’agit de RPS ? S’agit-il de l’absentéisme dit « de longue durée » dont les causes régulièrement convoquées seraient « le vieillissement des agents », particulièrement sur les postes à « forte pénibilité » ? Dans ce cas, la réponse à cette complexité est déjà largement identifiée : seule la mobilité des agents est à même de prévenir les effets de la pénibilité, qu’elle soit physique ou intellectuelle car ayant les mêmes conséquences, entrainée par la répétition des mêmes gestes et des mêmes tâches. Que font concrètement les collectivités pour créer les conditions de cette mobilité ?

La mobilité et la gestion des agents

À cette question ces dernières rétorquent la plupart du temps qu’il est impossible « d’obliger » les agents à être mobiles, illustrant en cela comment dans l’imaginaire territorial l’évolution des comportements ne saurait passer que par la contrainte et justifiant ainsi la démission devant le sujet du vieillissement des agents et ses conséquences. Or, ça n’est bien entendu pas la contrainte qui génère les changements de comportements les plus durables ni les relations professionnelles les plus adultes, mais bien le sentiment qu’il y a un enjeu et un intérêt à changer.

Absentéisme et responsabilité managériale

Le vieillissement des agents : un enjeu collectif

Qu’est-ce qui empêche alors chaque collectivité de faire des conséquences du vieillissement des agents un enjeu collectif en ce qu’il génère – notamment – des coûts, et individuel en termes de santé et de bien vivre au travail ?

Qu’est ce qui les empêche de faire en sorte que chaque niveau hiérarchique soit mobilisé et évalué sur sa capacité à créer de la mobilité ?

N’est-ce pas plutôt cette incapacité ou cette absence de volonté de mobiliser, de responsabiliser, de faire confiance au personnel dans sa capacité à trouver des solutions devant des enjeux partagés qui est non seulement l’un des traits saillants des manières de travailler au sein des collectivités, mais aussi une des principales et véritables causes d’absentéisme ?

L’absentéisme de courte durée et la gestion de la contrainte

Alors la « complexité » évoquée par les DRH au sujet de l’absentéisme concerne-t -elle celui dit de « courte durée » sur lequel se cristallisent les débats sur les jours de carence, qui sont une autre déclinaison de la contrainte ?

Mais dans ce cas, pourquoi, déjà, ne pas prendre en compte les enseignements des multiples enquêtes et diagnostics en matière de RPS ?

La reconnaissance au travail et son impact sur l’absentéisme

Le lien entre reconnaissance et absentéisme

En effet ces enquêtes et diagnostics relatent systématiquement que de santé au travail, il n’est que peu et marginalement question. Invariablement, ils traduisent les aspirations des agents à se sentir plus utiles, c’est-à-dire à voir en quoi leur travail individuel quotidien s’inscrit dans un projet collectif qui les dépasse. Leurs aspirations également à se sentir plus autonomes, responsables et non simple exécutants. Leurs aspirations à être associés aux projets ou changements qui les concernent directement. Leurs aspirations à être membres d’organisations justes, sans passe-droits. En un mot, leurs aspirations à être plus « reconnus ».

Le rôle du manager dans la reconnaissance

Comment imaginer que des agents qui expriment régulièrement des doutes sur le fait que leur travail soit valorisé à sa juste valeur, qui sont régulièrement mis devant le fait accompli de décisions prises sans qu’ils n’aient été consultés et dont les conséquences peuvent avoir un impact direct sur leur travail, qui ne se sentent tout simplement fréquemment pas humainement respectés, dont on peut aussi dire sans jugement de valeur aucun que leur engagement dans la fonction publique territoriale peut être plus motivé par des arguments de confort de vie personnelle que d’ambition professionnelle ; comment ne pas imaginer que ces agents puissent ne pas plus ou moins régulièrement mettre dans leur balance personnelle la possibilité d’être absents et leur motivation à venir travailler ? Comment dans ces conditions les responsables des ressources humaines peuvent-ils se contenter de constater que des agents ne « peuvent » pas venir travailler, tant l’argument médical ressemble à un alibi quand autant ne conditions de ne pas « vouloir » venir travailler sont réunies et que les frontières entre « pouvoir » et « vouloir » apparaissent pour le moins poreuses ?

Conséquences économiques et culturelles de l’absentéisme

Le coût de l’absentéisme et des dispositifs de prévention

Bien entendu le « manque de reconnaissance » qui est la synthèse et le leitmotiv des diagnostics pointe directement les cultures et pratiques managériales. Car malgré les idées reçues bien souvent émises par l’encadrement, la notion de « reconnaissance » n’a que peu à voir avec le remerciement adressé à celui qui livre son travail, il ne s’agit là que de politesse. Elle n’a non plus que peu à voir avec la rémunération et cette fréquente confusion entre récompense et reconnaissance ne peut qu’interroger voire inquiéter sur la représentation de son métier qu’a le personnel d’encadrement.

Les conséquences des outils de gestion des ressources humaines

En réalité le sentiment de reconnaissance nait lorsque l’investissement dans le travail est pris en compte par le supérieur et que ce dernier permet à celui qui l’a exécuté de se projeter et d’en tirer une forme de fierté ou d’estime de soi professionnelle en lui montrant en quoi il est utile.
Aussi, la condition clé de l’existence de ce sentiment est que la nature et la qualité du travail attendus soient partagées entre celui qui l’exécute et celui qui en attend les résultats, en l’occurrence le supérieur hiérarchique.
C’est à partir de ce partage que peut se faire la transition entre les égos, les affects de chacun, ce que « je » préfère faire ou aime et ce que le collectif « nous », attend.

Ainsi, travailler ensemble implique toujours une forme de concession de la part des individus. Et si une forme de « complexité » existe, elle est probablement à cet endroit. Mais il s’agit tout simplement de la complexité humaine et du fait que dépasser ses propres représentations individuelles, ce que nous aimons, au profit d’un résultat final dont nous n’avons pas décidé, ne nous est pas naturel et n’est pas effectué au même rythme par chacun.
En conséquence, ce processus n’est jamais totalement acquis ni stabilisé, ses modalités ne s’improvisent pas et il demande du temps. Or, « manager », c’est précisément consacrer ce temps de soutien bienveillant, sans jamais faire de concession sur l’exigence de résultats à obtenir : « Manager » signifie « rendre capable ».

Ainsi, depuis plus de 10 ans, l’émergence du thème des RPS aurait pu permettre d’ouvrir un dialogue salutaire sur ce que signifie réellement travailler ensemble, sur ce que chacun est en droit d’attendre du travail, quels sont ses devoirs et donc de réellement progresser sur le plan des cultures et pratiques managériales. Et les résultats de ce dialogue devraient pouvoir être perceptibles, notamment en termes d’absentéisme. D’autant plus que la majorité des DRH semble a priori consciente de la nécessité d’améliorer, sinon de construire les cultures et pratiques managériales et constate qu’elles relèvent largement de l’intuition et des personnalités des intéressés. Ce qui signifie qu’elles ne sont pas professionnalisées et qu’en lieu et place des nécessaires compétences relationnelles du métier de manager, il y a le libre arbitre de chacun, c’est-à-dire son indépendance et donc son pouvoir.

Mais ces constats sont restés et continuent de rester à l’état de constat et l’orientation qui a été choisie n’est pas celle du travail de fond sur le management. De plus, l’espace laissé vacant par l’absence des compétences relationnelles du « métier manager » a été largement investi par les représentations médicales du travail associées aux RPS à tel point qu’il est dorénavant demandé à l’encadrement de « détecter » les RPS, sans que personne ne sache exactement à quoi ressemblerait cette « détection », quelles sont ses compétences pour y procéder ni surtout, en quoi cela est son rôle. En conséquence, illustrant la manière dont le thème des RPS a brouillé les frontières entre ce qui relève des contraintes inhérentes au travail et ce qui relève véritablement de leur champ, l’encadrement se trouve manifestement de plus en plus fréquemment confronté à l’opposition d’agents arguant que la demande qui leur est adressée est synonyme de RPS, voire de harcèlement. Au libre arbitre initial s’ajoute pour les agents avec les RPS un quasi droit de retrait.

Tout ceci a un coût économique et des conséquences d’une certaine manière, « culturelles ». Le coût, factuel, de l’absentéisme à proprement parler. Mais aussi le coût beaucoup plus impalpable et néanmoins réel du moins bien faire qui va de pair avec le « manque de reconnaissance ». Quel est ensuite le coût des innombrables « outils » et intervenants en matière de ressources humaines dont les collectivités sont friandes et dont la problématique récurrente de l’absentéisme vient cruellement rappeler l’inefficacité ?

L’inefficacité des outils de prévention

Bien entendu, étant l’un de ces intervenants, je connais mes coûts. Je connais le coût d’un diagnostic dont les plans d’actions qui en découlent nécessairement ne sont jamais sérieusement mis en place ni évalués, aux motifs par exemple d’un changement de DGS, de DRH ou de l’apparition « d’autres priorités ». Je connais bien entendu les coûts de nos formations inter collectivités quand je demande a posteriori aux participants quel suivi et quelle évaluation ont été faits de la mise en pratique et du bénéfice de leur apprentissage et que la réponse est systématiquement « aucun ». Alors à quoi servent les formations au management, les séances de coaching, les ateliers de co-développement, la conférence sur la motivation animée par un consultant de renom si dès le lendemain matin, les intéressés ne mettent pas immédiatement en acte et ce de manière obligatoire et évaluée, les enseignements dont ils ont bénéficiés ?

Il ne s’agira que d’une comédie, au mieux de divertissements avant que les habitudes ne reprennent leurs droits et que nous entendions encore les agents dirent qu’ils ne « se sentent pas reconnus », tandis que les managers continueront de dire qu’ils « n’ont pas le temps » au motif récurrent qu’ils sont occupés à différentes tâches de contrôle ou de reporting, sans que personne ne souligne en ces soi-disant périodes de restrictions et d’économies pour les collectivités que leur rôle est de créer de la confiance et que celle-ci coûte toujours moins cher que le contrôle.

Au-delà de leurs coûts économiques, quelles peuvent être les conséquences symboliques et culturelles de la mise en place de dispositifs allant dans le sens d’une surprotection des agents, tels que les « Services Qualité de vie au travail », les préventeurs, les psychologues, les cellules psychologiques et autres lignes d’écoute, véhiculant tous la représentation du travail comme d’une menace, quand en réalité ces mêmes agents déclarent bien souvent souffrir d’être infantilisés ? Et finalement,  en quoi ces dispositifs ont-ils permis d’améliorer la qualité de service public ? Car c’est bien là la seule question importante.

L’impact de l’absentéisme et l’absence d’évaluation des dispositifs

Et à défaut d’évaluation de l’impact de ces dispositifs sur la qualité de service public, la problématique récurrente de l’absentéisme apporte une suggestion de réponse.

Mais tant que cette évaluation n’existe pas, les dispositifs ne peuvent que se surajouter les uns aux autres, en vain. En effet, le principal facteur de bien-vivre au travail et de prévention des RPS réside dans le fait de réaliser du travail de qualité et d’apporter individuellement sa propre valeur ajoutée au regard de la qualité de travail collectivement attendue.

La qualité du travail au cœur des enjeux

Tant que la qualité objective du travail et les résultats attendus ne sont pas mis au centre des débats et compris comme des facteurs de protection et de progrès des individus, tant que par exemple, l’idée même de fixation d’objectif est confondue avec une « pression », le champ est libre pour que règnent l’affect et les jugements de valeurs, ce qu’illustre parfaitement l’affichage des slogans de « lutte contre l’absentéisme » : tant que le travail et le fait de venir travailler ne sont pas resitués comme des moyens pour atteindre des résultats collectifs, la « lutte contre l’absentéisme » est une posture moralisatrice et infantilisante, puisque « ne pas venir travailler » serait « mal » en lui-même

Le coût culturel et managérial de l’absentéisme

L’absence de reconnaissance : un frein au changement

Enfin, cette absence d’évaluation de l’impact des moyens sur les résultats porte en creux un dernier coût, également culturel.
En effet, si tous les agents territoriaux de France déclarent leur attachement à la qualité et aux valeurs de service public, ce dont leurs directions et élus aiment à se targuer, combien au sein d’un même service en partagent la même définition et la même déclinaison concrète ? Dans la mesure où les conditions managériales ne sont pas réunies pour que ce partage soit réel et concret  et qu’en conséquence, ils ne se « sentent pas reconnus », combien acceptent réellement de sacrifier leur propre intérêt personnel au profit du service public, non pas tel qu’ils le voient individuellement, mais tel qu’il a été ou doit être défini par le politique ?
Ainsi, le « ne pas se sentir reconnu » synonyme de libre arbitre dans ses comportements professionnels doit aussi être interprété, même dissimulé derrière le drapeau de la défense des valeurs de service public, comme de l’individualisme.

La stagnation face aux enjeux de l’absentéisme

Alors malgré les « outils », les effets d’annonces et l’affichage, rien ne change. Et force est de constater que les années passent et que ce qui relève de la « complexité » pour les DRH des collectivités, à savoir l’absentéisme, les RPS, l’évolution de l’encadrement vers de véritables cultures et pratiques managériales revient finalement toujours à faire la liste de tout ce qui ne relève pas de la gestion administrative des ressources humaines, comme si le monde ne changeait pas et comme si l’émergence, notamment, du sujet des RPS, n’avait pas clairement mis à jour d’autres aspirations des agents au travail.

L’absentéisme : un problème sans enjeu tangible ?

L’absence d’enjeux pour les agents publics

Rechercher les causes réelles de cette inertie amène vite au constat lapidaire que pour changer, il faut une raison, un enjeu, celui-ci pouvant se définir à la fois par la négative comme le risque à ne pas changer ou plus positivement parce que le changement pourra permettre de faire ou d’être, dessinant un avenir plus désirable que le présent. Dans le secteur privé, l’enjeu est généralement simple, il tient à la croissance et la survie économique. Et c’est bien au regard de cet enjeu que les ressources humaines s’adaptent et évoluent. C’est aussi au regard de cet enjeu qu’il est possible d’obtenir des résultats.

L’impact de l’absentéisme sur la performance publique

Sinon, pourquoi réellement chercher à obtenir des résultats ? Alors, quels sont les enjeux pour les agents des collectivités ?

Quels sont les risques à ne pas mettre en œuvre les décisions, ou bien de le faire au rythme et à la manière qu’ils choisissent et ce, quel que soit l’échelon hiérarchique ?

Aucun. En conséquence, sur les sujets relatifs aux RH, en l’absence d’enjeux, les politiques « novatrices », les projets et les nouvelles approches restent des abstractions et tendent à singer régulièrement les nouvelles modes RH issus du secteur privé, sans manifestement se demander en quoi ces dernières sont réellement importables.

L’absentéisme et la nécessité de changer les habitudes

Une proposition concrète pour résoudre l’absentéisme

Ainsi notre proposition a-t-elle été la plupart du temps jugée « intéressante », puis fatalement refusée : en effet, elle était pour le moins concrète puisque basée sur la notion de résultats. Elle aurait impliqué que chacun, tout du long de la ligne hiérarchique, accepte de réellement changer, personnellement, sans que les gains personnels de ce changement ne soient évident, au profit de gains collectifs, eux évidents, mesurables et concrets. Force est de constater également que malgré la prégnance du sujet, malgré la Cour des Comptes, malgré les affichages de volonté de « lutter contre l’absentéisme », personne n’a souhaité prendre le risque d’imaginer changer ses habitudes, le confort personnel et la certitude affichée de bien faire son travail en mettant « tous les outils en place » l’emportant sur l’évaluation des résultats attendus, quand bien même ceux-ci se traduisent par des coups financiers pour la collectivité et ses contribuables.

Le risque d’une gestion de l’absentéisme inefficace

À ce stade, est-il interdit de se demander combien de temps ces postures seront tenables ou comment, par exemple, un gouvernement ne voudra pas un jour faire montre d’autorité et de contrainte à leur endroit ?

Bien entendu, au niveau local également ces constats ne peuvent éluder la question du positionnement du politique, de l’articulation de son action avec celle de l’administration et de sa prise en compte du sujet de la qualité de vie au travail. Rappelons des évidences, notamment en termes de coûts puisque le coût est aujourd’hui souvent le langage politique privilégié : le mal-être au travail a des coûts directs souvent chiffrables, qu’il s’agisse d’absentéisme, de non qualité, mais aussi des innombrables dispositifs psychologiques et médicaux mis en place, aussi contre-productifs soient-ils. Il a également des coûts indirects, beaucoup plus difficilement chiffrables puisqu’ils se répercutent à tous les endroits de la vie privée, qu’il s’agisse de santé et de consommation de médicaments, d’alcool, de qualité de vie de famille, d’éducation et de socialité… Le bien vivre au travail quant à lui ne coûte rien et permet des gains puisque les individus travaillent alors plus et mieux.

Vers une gestion plus efficace de l’absentéisme et des conditions de travail

Réinventer la gestion de l’absentéisme au niveau local

Alors il n’est pas interdit de rêver et d’imaginer que le politique puisse, au niveau local, dépasser les tendances à la gestion quasi clientéliste du personnel et d’achat de paix sociale dans des dialogues avec les syndicats la plupart du temps vains puisque d’une part ceux-ci ne représentent qu’une part infime des personnels et d’autre part ont montré depuis que le sujet des RPS était apparu à quel point il ne l’avaient pas compris en se battant systématiquement pour des conditions matérielles de travail ou de rémunération quand la majorité des agents revendique de la reconnaissance, humaine.

L’absentéisme : un enjeu pour la collectivité

Rêver signifierait alors que devant la « souffrance au travail » présentée il n’y a pas si longtemps comme un phénomène de société, le politique puisse considérer qu’il y a un véritable enjeu et qu’il est possible d’y répondre à l’échelon local de sa collectivité. Que son rôle est peut être d’entendre les aspirations contemporaines qui s’expriment aussi bien dans les journaux que dans les rues en matière de vivre ensemble et de justice, et que l’espace social de travail qu’est l’administration territoriale placée sous son autorité, qui plus est parce qu’il n’est peu ou pas soumis à la tension de l’insécurité de l’emploi, pourrait être l’espace le plus adapté pour y répondre. Rêver signifierait donc enfin que nous, usagers, électeurs, contribuables, considèrerions que nos collectivités se doivent et nous doivent d’être sur ces sujets, exemplaires.